Un huissier peut-il saisir un compte à l’étranger ? Découvrez ce que dit la loi et dans quels cas cette saisie bancaire est réellement possible.
Lorsqu'une dette reste impayée, la justice française peut autoriser un huissier de justice à engager une procédure de recouvrement. Si le débiteur possède des biens ou un compte bancaire en France, la saisie est relativement simple. Mais qu'en est-il lorsque le seul compte bancaire du débiteur se trouve à l'étranger ?
Dans un contexte de plus en plus mondialisé, où les transferts d’argent et les ouvertures de comptes hors des frontières sont courants, la question de la saisie internationale devient incontournable. Est-ce juridiquement possible ? Quels pays coopèrent avec la France ? Quelles démarches l’huissier doit-il entreprendre ? Et surtout, le débiteur est-il totalement protégé en plaçant son argent dans une banque étrangère ?
À travers cet article, nous allons faire le point, de façon claire et documentée, sur les mécanismes qui permettent — ou non — de saisir un compte bancaire situé hors du territoire français. Le tout, à la lumière du droit international, des conventions judiciaires européennes et des subtilités administratives. Car non, ouvrir un compte au Luxembourg ou en Suisse ne met pas automatiquement à l’abri d’un huissier.
Par nature, l’autorité d’un huissier de justice français s’exerce dans les limites du territoire national. Autrement dit, un huissier ne peut pas, de lui-même, exécuter une saisie sur un compte ou un bien situé à l’étranger. Le principe de souveraineté des États empêche toute intervention directe hors de France, même en présence d’un impayé reconnu par un tribunal français.
Cependant, ce cadre territorial n’empêche pas toute action. Une procédure de saisie à l’étranger reste envisageable, mais elle suppose une série d’étapes supplémentaires, souvent complexes, qui doivent passer par des mécanismes de coopération judiciaire internationale.
Tout commence par un titre exécutoire, généralement une décision de justice française constatant la dette. Ce titre, pour être valable à l’étranger, doit faire l’objet d’une procédure dite "d’exequatur" dans le pays concerné — sauf si une convention internationale en dispense, comme c’est le cas au sein de l’Union européenne.
En clair :
> Un huissier ne peut pas traverser la frontière et saisir directement un compte en Suisse ou en Espagne. Il doit obtenir l’aide de la justice locale pour faire reconnaître son titre et enclencher la procédure.
Ce processus, bien qu'encadré, peut être long, coûteux et dépend fortement de la coopération des autorités du pays où se trouve le compte.
Oui, un compte bancaire situé à l’étranger peut être saisi, à condition que plusieurs critères soient réunis et que la procédure respecte le droit local. Ce type d’intervention est encadré par des textes européens et internationaux, qui visent à faciliter la reconnaissance des décisions de justice d’un pays dans un autre.
Dans l’espace communautaire, le règlement (UE) n°1215/2012, dit "Bruxelles I bis", permet l’exécution directe d’une décision de justice d’un État membre dans un autre, sans avoir à passer par l’exequatur. Cela signifie qu’un jugement français peut être immédiatement exécutoire en Espagne, en Belgique ou en Allemagne, par exemple, dès lors que certaines formalités sont remplies.
En parallèle, le règlement (UE) n°655/2014 instaure un mécanisme spécifique : la saisie conservatoire européenne sur les comptes bancaires, aussi appelée European Account Preservation Order (EAPO). Cette procédure vise à bloquer rapidement des fonds présents sur un compte étranger, avant même que le débiteur ne soit informé de l'action. Un atout précieux pour éviter toute évasion d’actifs.
En dehors de l’UE, la saisie est plus compliquée. Il faudra :
Certaines conventions bilatérales (comme la Convention de Lugano avec la Suisse, la Norvège ou l’Islande) offrent un cadre juridique similaire à celui de l’UE, mais de nombreux pays, notamment en Afrique, en Asie ou en Amérique, ne reconnaissent pas automatiquement les décisions rendues en France.
Une fois la décision reconnue localement, les autorités du pays concerné – et non l’huissier français – procèdent à la saisie. Il faut donc souvent collaborer avec un huissier ou un avocat étranger, habilité à agir dans la juridiction visée. C’est une procédure technique, longue et onéreuse, souvent réservée aux dettes importantes.
> À noter : dans 8 cas sur 10, une saisie de compte à l’étranger échoue faute d’informations suffisantes sur les avoirs bancaires du débiteur (source : Conseil des huissiers de justice, 2024).
Tous les pays ne reconnaissent pas automatiquement les décisions de justice françaises. La faisabilité d’une saisie bancaire à l’étranger dépend donc largement du pays dans lequel se trouve le compte du débiteur.
Dans l’espace communautaire, la reconnaissance mutuelle des décisions de justice est la règle. Le règlement Bruxelles I bis, en vigueur depuis 2015, permet à un jugement civil ou commercial rendu en France d’être exécuté sans formalités supplémentaires dans un autre État membre.
En clair : si un débiteur possède un compte en Espagne, au Portugal, en Italie ou en Allemagne, la procédure de saisie est beaucoup plus fluide. Il reste tout de même nécessaire d’en informer les autorités locales, via des certificats européens standards.
Avec ces pays, qui ne font pas partie de l’Union mais ont signé la Convention de Lugano, le principe de reconnaissance mutuelle est maintenu, mais une procédure simplifiée d’exequatur est toujours requise. Cela allonge les délais et les frais, mais la coopération est bien rodée.
Exemple : en Suisse, un jugement français peut être reconnu dans un délai de 2 à 6 mois, après étude par les tribunaux cantonaux. Une fois la décision validée, la saisie peut être effectuée par un huissier suisse, sur requête du créancier français.
Ces deux pays frontaliers sont régulièrement ciblés dans les affaires de recouvrement international, car de nombreux Français y ouvrent un compte bancaire secondaire. Grâce au droit européen, la reconnaissance d’un titre exécutoire français y est quasi automatique. Cela explique pourquoi les huissiers y travaillent régulièrement via des relais locaux.
Au-delà de l’Europe, chaque pays applique ses propres règles. Les États-Unis, le Canada ou encore le Maroc n’ont pas de convention de reconnaissance automatique avec la France. Dans ces cas, la procédure d’exequatur devient une véritable action en justice, avec la nécessité de prouver que :
La procédure peut prendre plusieurs mois, voire plus d’un an selon les juridictions locales, et implique nécessairement un avocat sur place.
L’idée peut sembler tentante. Mais ouvrir un compte bancaire à l’étranger dans le seul but d’échapper à ses créanciers ne protège en rien contre une éventuelle saisie. Pire encore : cela peut exposer à des sanctions pénales si la manœuvre est jugée frauduleuse.
Les huissiers ne peuvent pas eux-mêmes consulter les comptes bancaires étrangers, mais cela ne signifie pas qu’ils sont aveugles. Grâce à certaines procédures, notamment dans l’Union européenne, les autorités judiciaires peuvent accéder aux informations bancaires via les canaux de coopération (comme le réseau européen EJN ou les conventions de La Haye).
De plus, depuis les accords fiscaux signés par la France (FATCA, CRS), de nombreux pays transmettent désormais automatiquement les informations bancaires aux autorités françaises. Ainsi, le secret bancaire n’est plus ce qu’il était, même dans les pays traditionnellement réputés pour leur discrétion comme le Luxembourg ou la Suisse.
Si le créancier parvient à démontrer que le débiteur a volontairement dissimulé ses revenus ou ses avoirs, notamment via des comptes offshore, il peut demander la requalification en fraude à l’exécution. Il s’agit d’une infraction pénale grave, qui peut entraîner :
Même dans les cas où la procédure judiciaire est plus lente ou plus coûteuse, les créanciers les plus déterminés ne reculent pas devant une action internationale. À titre d’exemple, selon une étude du réseau LexisNexis (2023), plus de 22 % des procédures de recouvrement transfrontalier aboutissent à une saisie partielle ou totale dans les 18 mois suivant la décision initiale.
> En résumé : placer son argent à l’étranger pour échapper à une saisie est une stratégie risquée, souvent inefficace et parfois illégale.
La saisie d’un compte bancaire situé à l’étranger par un huissier français est bel et bien possible, mais elle reste encadrée par des règles strictes, souvent complexes. Tout dépend du pays concerné, de la reconnaissance des décisions de justice françaises, et des mécanismes de coopération existants.
Dans l’Union européenne, les procédures sont largement facilitées grâce aux règlements communautaires, permettant parfois des saisies rapides et efficaces. En revanche, hors Europe, la tâche se complique : traduction des jugements, exequatur, intervention d’un avocat local… autant d’étapes qui allongent les délais et alourdissent les frais.
Ouvrir un compte à l’étranger ne constitue donc pas un bouclier juridique. Le débiteur reste exposé, et le créancier dispose de leviers juridiques pour récupérer les sommes dues, même à l’international.
> Pour en savoir plus sur les autres formes de saisie, consultez notre article : Un huissier peut-il saisir une personne non solvable ?
En cas de difficultés financières importantes, il est également possible de se tourner vers des dispositifs de protection comme le dépôt d’un dossier de surendettement auprès de la Banque de France.
Et si le litige concerne l’administration fiscale ou une situation de compte non déclaré à l’étranger, un recours auprès d’un conciliateur fiscal départemental peut parfois permettre d’éviter une procédure contentieuse longue et coûteuse.